Miroir miroir

de marche en marche
verticale ascension
dans l’ombre et la lumière
déroulement de l’hélice
au rayon croissant
spirale vertigineuse
exploration de notre ADN
polymère de soi
sans cesse en mouvement
aux mutations par paliers
circonvolutions introspectives
cheminement parfois chaotique
aux motifs brisés
de nos répétitions fractales
Yann Sallou

Sur le chemin exploratoire de notre intériorité, de notre positionnement par rapport au monde qui nous entoure et à nous-même, nous rencontrons des résistances qui peuvent nous accompagner longtemps ou juste nous traverser. Des résistances face à soi [1], parfois issues d’événements traumatiques. Parfois, des fantômes tapis dans l’ombre que l’on ne voit pas. Des conflits intérieurs ou extérieurs, invisibles qui nous empêchent d’avancer. Et puis ceux visibles qui peuvent nous aider à éclairer le chemin. À rendre visible l’invisible.

Ces résistances qui se voient et s’énoncent, deviennent des signaux qui nous éveillent à notre propre compréhension. Cette prise de conscience de ces affrontements internes, la visualisation des relations et interactions des forces qui s’opposent, ouvrent un champ, une opportunité de dénouer les tensions qui nous écorchent et nous tiraillent.

La démarche introspective n’est pas simple. Le regard que l’on se porte doit être sincère et il n’est pas aisé de s’orienter dans le labyrinthe des miroirs ; dans la perception de soi et de ce que nous renvoie l’autre.

Miroir parfois déformant, souvent miroir cruel aux lucides reflets ; jeu de cache-cache entre soi et son autre. Un processus, qui justement, implique de se mettre à découvert, de sortir de sa cachette ; résister à ses propres résistances, abandonner l’illusion de se séparer de soi.

Se séparer de soi, de son autre, plus encore lorsque vient se greffer à soi, un frère jumeau.

Cette fascination sociale envers les jumeaux est tenace, souvent relayé dans la littérature et le cinéma par des stéréotypes accrocheurs.
À chaque découverte de ma gémellité par l’autre, c’était d’abord la surprise. Et puis la question tombait immanquablement, toujours la même. Si nous étions des vrais ou des faux jumeaux. Comme s’il fallait en plus de la « quantité » prouver une certaine « qualité ». Ce à quoi je répondais invariablement : « je suis le vrai, mon frère le faux » comme affirmation de ma singularité.
Venait ensuite le moment de la comparaison, du jeu des sept erreurs – on se faisait dévisager minutieusement de haut en bas, de façon toute naturelle, se transformant l’espace d’un instant en bête de foire.

Il fallait à la fois lutter contre cette négation du « je » (mon prénom s’étant transformé en « les jumeaux ») et résister à cette tendance sociale à encourager cette fusion, ces frères-pareils (comme les appelle Michel Tournier dans son roman Les Météores).

Et puis au-delà de la mise « dans le même sac », cette ressemblance évidente avec mon frère jumeau était source de quiproquos ; à la fois pour la personne gênée de s’être trompée, et pour moi, dans la réponse que je donnais : « non ce n’est pas moi, je suis son frère ! »

De ces situations, je ne m’en suis rarement amusé, même si parfois, mon frère et moi avons pu en jouer. J’étais confronté à cette double difficulté, entre ma résistance à cette fascination sociale et mon attraction « coupable » de l’intérêt qu’on « me » portait ; j’étais fasciné moi-même.

Les jumeaux n’existent pas. Chacun de nous est absolument singulier. On devient jumeau sous le regard d’autrui.
Le paradoxe des jumeaux de René Zazzo et Michel Tournier

Sans doute que ces résistances particulières ont participé à la mise en place d’une stratégie introspective. Il fallait que je comprenne les mécanismes, les interactions entre les choses et leurs expressions. Il me fallait prendre de la distance, déplacer le centre, se décentrer de soi pour mieux appréhender, mes faiblesses et par là même celles des autres.
Arriver à ce point d’équilibre si difficile à trouver entre le contrôle de soi et le lâcher-prise et aller de l’autre côté du miroir.
Être soi
apaisé
avec toi

Miroirs : jamais encore sciemment l’on a dit
ce qu’en votre essence vous êtes.
Vous, intervalles du temps que suffisent
à emplir des trous de crible.

Vous, qui gaspillez la salle pourtant vide –,
qui, au crépuscule, êtes vastes ainsi que des forêts…
et le lustre passe comme la ramure d’un seize cors
dans votre inviolabilité.

Parfois vous êtes emplis de peintures.
Quelques-unes semblent passées en vous –,
d’autres, vous les avez écartées peureusement.

Mais la plus belle restera, jusqu’à ce que
là-bas dans ses joues encore vierges
ait pénétré le clair narcisse libéré.
Rainer Maria Rilke, Les Sonnets à Orphée

Note : Article publié dans Espaces réflexifs https://reflexivites.hypotheses.org/8112