L’algèbre ressemble à un tunnel ; vous passez sous la montagne, sans vous occuper des villages et des chemins tournants ; vous êtes de l’autre côté, et vous n’avez rien vu. La géométrie est un monde merveilleux, où l’on fait naître des idées singulières, comme sont les nombres véritables, mais un peu plus près de la nature que ne sont les nombres. Et de même que treize n’est pas douze plus un, de même, et encore plus évidemment, une surface n’est pas une somme de lignes, et un volume est encore un autre être. Un hexagone n’est nullement un pentagone avec un côté de plus ; ceux qui ont construit le pentagone régulier et l’hexagone régulier savent bien que ce sont deux êtres, qui ont chacun leur visage. Les solides réguliers, qui sont comme des cristaux sans matière, représentent les montagnes et les précipices dans ce voyage du géomètre. Et voilà comment l’homme pense, rassemblant l’expérience, l’imagination, et le raisonnement en chacune de ses démarches.
Alain, Propos sur l’éducation, 1932