Il n’avait pas imaginé ce qui allait se passer au début des années 90. Ce premier effondrement. Les crasseux, les incultes et les publicistes, plébiscités par leurs pairs. Il avait honte, rétrospectivement, de ne pas avoir anticipé ce que deviendrait le livre, une industrie un peu plus bête qu’une autre. Vieille rombière outragée, minaudant dans des robes en lambeaux. Ardisson-Canal +-Inrocks. Des ennemis dont on n’avait pas saisi le pouvoir de nuisance. Ni de droite, ni de gauche. Ni classiques, ni modernes. Des gens de télé. Bien de leur époque. Des pitcheurs, avides de chair fraîche, gourmands d’audience. Dans un premier temps, il avait pris le parti d’en rire. Il se souvient, aujourd’hui avec amertume, d’un dîner au cours duquel, évoquant les derniers romans qui marchaient, un éditeur en verve les avait fait s’étrangler de rire, prédisant qu’au train où ça allait, un jour les gens liraient des romans de jeunes filles détaillant l’état de leurs hémorroïdes. A gorge déployée, ça les avait faire rire. Non, il n’avait rien vu venir. Et qui mangerait des ordures, et qui se ferait prendre par papa, et qui serait une pute inculte, et qui se vanterait de baiser des Thaïlandaises prépubères, et qui détaillerait son shopping coké… Rien vu venir.
Virginie Despentes, Apocalypse bébé, 2010